Deux prisonniers. La peur !

Claude REYNES                                  reynes.afn@gmail.com

Près de Bounekache, le village d’El Aïnseur encore habité à cette époque, est pro-FLN, mais je n’ai jamais eu ’d’ennuis’ avec ses habitants, acceptant de boire le caoua lorsqu’ils me l’offraient. Le jour ils sont les amis des soldats de l’armée française, et la nuit... des fellaghas !
Il faut rester vigilants, prudents...

Le 30 septembre après-midi,
alors qu’il fait encore très chaud, je fais une patrouille de reconnaissance sur le Djebel Amjout (zone interdite ou zone de chasse !) qui domine le village d’El Aïnseur. Ce Djebel, est escarpé, raviné, juste bon à faire paître des troupeaux.
Sur un sentier en zigzag tracé par les brebis entre les broussailles, je suis en troisième position, la carabine US à l’épaule… Soudain je vois sur ma droite, tout près, vraiment tout près, un homme dissimulé dans un escarpement; je dois reculer pour braquer mon arme sur lui : je ne tire pas, je crie pour lui faire lever les mains. Les deux éclaireurs de pointe reviennent rapidement sur leurs pas; le fellagha est maîtrisé, interrogé… Ils ne sont que quatre…
Quelques coups de feu : un fellagha est tué, un autre est fait prisonnier, et le quatrième réussit à s’enfuir… (Un ancien déserteur, m’a-t-on dit par la suite).
Nous saisissons armes, munitions, documents ainsi qu’un drapeau algérien.
Dans le secteur où nous sommes, lorsqu’il y a des accrochages, pas de prisonniers !
Nous, nous avons fait deux prisonniers
...

La peur

« Que celui qui n’a jamais eu peur me jette la première pierre ! ».
 En zone d’insécurité, il y a toujours une certaine crainte, une peur; c’est normal !
Sur le terrain, lors de patrouilles de reconnaissance, lors d’opérations, je crois que je n’ai pas eu spécialement peur, ou pas plus peur que tout combattant.
Comme chef de section, lors des déplacements, il faut être parmi les premiers, prêt à réagir ! Le risque est permanent !

Quand on reste la nuit entière en embuscade, avec les harkis, il faut rester vigilant : le sommeil ne vient pas; même pas la somnolence… Il m’est arrivé de penser à la désertion de l’un ou de l’autre ! Il y a une peur réelle. Pourtant, par rapport aux harkis, il faut se montrer très confiant. 
Peur aussi d’être blessé, handicapé à vie. Pas réellement peur de la mort: la mort en tant que telle est un passage obligé de notre pèlerinage sur terre ! Mais peur de la blessure qui handicape pour la vie : j’ai vraiment ressenti cette peur !
La peur, je l’ai parfois ressentie au retour d’opération : oui, la peur !
La nuit, lorsqu’on est seul, l’esprit travaille; le sommeil tarde à venir !
« S’il s’était produit ceci ou cela, qu’aurai-je fait ? Ai-je bien manœuvré pour que mes hommes n’encourent pas de risques ! Et si j’avais été blessé... Si…Et si…». 

Je me souviens du retour au poste d’Iffouralène, après l’accrochage du 30 septembre après-midi : je m’étais trouvé presque ‘nez à nez’ avec un fell !
Lorsque je me suis trouvé seul, le soir, dans ma chambre, revoyant défiler dans ma tête les péripéties de cet accrochage, j’ai éprouvé une forte peur dans tout mon corps. La peur ? Oui, la peur… Je m’en souviens !
 
Dès le jour suivant je suis reparti sur le terrain avec mes hommes.
 
Dieu merci, j’ai pu dépasser la peur !