Bounekache

Embuscade de Bounekache 
(Je n'ai pas conservé mon agenda: je ne me souviens pas de la date précise: début juillet ! Le 9 ?)
 Mais les documents transmis le 16 octobre 2012 par  
Michel BRISSET et Marcel LEMOINE,
blessés lors ce cette embuscade, donnent la date du
3 juillet 1961.
*
C’est l’heure de la sieste. Soudain on entend tirer du côté de Bounekache… « Embuscade à Bounekache ! Embuscade à Bounekache ! ». Alerte générale !
En un clin d’œil, les hommes giclent. Soit à pied, soit en véhicule on part rapidement pour porter secours aux camarades tombés en embuscade…
Le capitaine LABAT me dit : «Mon Lieutenant, je connais le terrain, j’y vais; vous, vous restez au poste pour coordonner les opérations… ».
Au poste de Madkoura, les hommes réagissent dès les premiers coups de feu : ils comprennent que leurs camardes qui viennent de les quitter sont tombés dans une embuscade à Bounekache, situé dans le talweg en contrebas. Ils courent vers un point haut, la côte 505 qui domine Bounekache, pour essayer de neutraliser l’embuscade…
Alors que les deux véhicules sont dans une boucle de la piste - au lieu dit Bounekache - un endroit très escarpé et difficile d’accès, les fellaghas prennent les deux véhicules sous le feu de leurs armes : une arme automatique prend la jeep pour cible; une grenade lancée par un fusil explose sur le plateau du GMC
L’embuscade ne dure que quelques minutes : à l'arrivée des secours d'Iffouralène, les fellaghas 'décrochent' et se dispersent dans le Djebel. Une embuscade préparée sans doute depuis longtemps par les fells qui attendaient le moment favorable ! (La veille au matin j’avais emprunté cet itinéraire pour la liaison de ravitaillement du poste de Madkoura !)
Très rapidement les secours arrivent sur les lieux.
Sur le terrain : 1 indemne, 12 morts, 4 blessés…Affreux !
- Sergent X, indemne ! 
- Michel BRISSET: caporal, deux jambes broyées par une rafale.
- Marcel LEMOINE: tireur FM, blessé au pied, éclats de grenade dans le dos, blessure à la tête. (lire son récit en bas de page)
- Deux HARKIS. Un des deux, en sautant du GMC, s'est accroché le pantalon à la ridelle et est resté 'suspendu' les jambes en l'air, faisant le mort. Blessé par balle à la poitine.

Je me souviens encore de mon activité au P.C. d’Iffouralène : l’accueil des blessés, leur évacuation par hélicoptère, les liaisons radio avec le P.C. Bataillon, la ronde des avions d’observation, la reconnaissance des morts, la visite des familles des harkis…
Après la dure tension de l’après-midi, dans le calme enfin retrouvé, dans le silence de la nuit,  j’ai vu des hommes pleurer !
Ce soldat qui vient de mourir : «C’était mon copain... C’était mon compagnon de chambrée... C’était mon ami de la classe ! »
Très dure épreuve pour les hommes de la 2ème Compagnie !
Le Sergent X qui m’a remplacé comme chef de convoi est indemne, sans blessure ! Il  a eu la présence d’esprit de gicler côté amont.…et beaucoup de chance ! Ses compagnons de voiture sont morts dès la première rafale. Qu’aurais-je fait ? Que serais-je devenu ? C’est une interrogation pour moi, encore aujourd’hui !

Je n’oublie pas le Sergent X. Il était libérable : c’était sa dernière sortie sur le terrain.  A plusieurs reprises j’ai fait paraître une annonce dans le journal  l’Ancien d’Algérie, sans succès...J'ai également demandé des recherches aux archives de l'armée...
Enfin la chance m'a souri: le 2 février 2013 j'ai enfin retrouvé le Sergent X qui maintenant est Pierre GEORGES, en Charente. Je lui ai rendu visite le 1er mai...
D'autre part, le 24 juin 2013, le Ministère de la Défense (CAPM de Pau), m'a communiqué le nom des 'rescapés de ce fait d'armes' dont celui du chef de convoi Pierre GEORGES (mon Sergent X)
Voilà mes premiers jours en Kabyle! Aujourd'hui encore, en évoquant ces souvenirs, j'en ai les larmes aux yeux  !
* * *
Marcel LEMOINE est tombé dans l'embuscade;
 il nous raconte son aventure!


Ce n’était pas mon jour 

Ce 3 juillet 1961, je suis réveillé vers 6 h. du matin par le chef de chambrée.

« Vite Marcel, tu pars en patrouille et fouiller des mechtas… ». La mission étant exécutée, on revient au poste vers 14 h 30.

Dans la cour, 7 camarades sont alignés. Mon ami Serge est du nombre, armé de son F.M.  Serge est effondré, il pleure. Je le questionne :

-  qu’as-tu, mon vieux ?

-  ma fiancée me quitte, elle se marie avec un autre !
-  va te reposer, écris-lui ; je prends ta place, nous en causerons ce soir.
* * *
Le convoi (une Jeep et un GMC) prend la piste, direction le poste de Madkoura pour le ravitailler en farine et viande. Rien à signaler. On décharge le GMC et nous reprenons la piste après avoir dégusté une ‘gauloise’ (une bière). Et au retour, c’est l’embuscade.
* * *
Le chauffeur du GMC est tué. Le véhicule se déporte sur la droite et percute la montagne. Je viens d’armer le FM. Deux soldats tombent dans mes jambes. Je me retrouve au sol, un harki mort sur moi. A cet instant, une grenade à fusil (patate) tombe et explose. Je suis blessé au pied gauche et au bras. D’autres grenades tombent. Des morts tout autour de moi. Je me dégage et à cloche pied, j’arrive à l’arrière du camion. Au moment où je saute du camion sur la piste, nouvelle grenade dans mon dos, je suis criblé d’éclats.
Je rampe sur la piste et m’allonge dans le fossé. Devant moi deux soldats ; une rafale les atteint en plein dos. Grenades, rafales d’armes automatiques et violente odeur de poudre. Je me glisse sous le GMC le long des roues jumelées (côté opposé au réservoir d’essence). On parle à côté de moi. C’est ‘Ouistiti’ (son surnom) ; il me demande de faire le mort car les fellagas vont venir nous achever. Plus un mot ! Je le regarde : il vient de recevoir une balle en plein cœur.
Silence complet. Je récupère la Thomson de ‘Ousititi’ que je cache sous moi. Un fellaga approche. Il est à deux mètres maximum ; je me redresse et je fais feu. Rien : le chargeur est vide. Je tourne la tête vers le fellaga, il dirige son fusil vers moi et fait feu. La balle longe ma boîte crânienne sans la faire éclater.
Ce n’est pas mon heure !
Le fellaga se penche sur moi, m’arrache l’arme, me fouille. Il sent mon portefeuille dans une poche et tente de le prendre. C’est à cet instant que les secours arrivent.
Nouvelle fusillade, grenades, etc. Les fellagas décrochent. Je ne bouge plus.
J’entends marcher autour de moi ; quelqu’un dit : « Encore un, c’est le treizième ».
Comprenant que c’est un des nôtres je crie : « Non, je ne suis pas mort ».
Il me tire par les épaules et m’installe dans le 6x6 avec d’autres blessés et morts ; nous partons vers Iffouralène.
Ce n’est toujours pas mon heure !
* * *
Dernièrement, pour raison de santé, j’ai passé radios, IRM et scanner. Je promène encore 12 éclats dans le pied gauche, 4 derrière mes poumons et 2 proches du pancréas.
Je n’oublierai jamais les camarades français et harkis morts ou blessés ce 3 juillet 1961.
Ce n’était ni mon jour, ni mon heure.
* * *
P.S. Quelques années plus tard, profitant d’un séjour à Bonne (rebaptisé Anaba), je suis retourné à Iffouralène, j’ai revu ces lieux y compris Bounekache, celui de l’embuscade.
J’ai pleuré.
Souvenirs que je porterai à vie.
Marcel
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(+ Décédé d'une crise cardiaque le 1er août 2015)