Vie à Madkoura

Au mois d’octobre, le nouveau capitaine me nomme à Madkoura.Le poste est situé sur un col très évasé; à l’ouest, le mont Djouah qui, les années passées, a été le théâtre de durs accrochages; les villages du secteur ont été évacués; aux endroits propices à une embuscade : Amjout, Imdra… des maisons ont été détruites… Plus de civils. Nous sommes en zone de chasse !

Je quitte le commandement des harkis; bien que n’ayant jamais eu de problèmes avec ces soldats et ces hommes, je ne suis pas mécontent de quitter la harka. (Chef de Harka, il fallait gérer le quotidien et l’exceptionnel: permissions, solde, palabres…)
Je me souviens  des nuits  entières  passées  en embuscade avec ces supplétifs; nuits étoilées ou obscures mais sans sommeil, sur le qui-vive; nuits où le froid matinal vous saisit !…Oui, la peur ! Mais aller remplacer un Sergent-chef de carrière ? Pas facile !...

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A Madkoura, les soldats du contingent - appelés comme moi - pensaient qu’avec le nouveau chef il y aurait moins de crapahut …. et un peu plus de farniente !
Un objectif me tient à cœur : assurer au maximum la sécurité des hommes. Or, se cantonner au poste serait dangereux! Nous devons donc être sur le terrain, patrouiller en permanence…
Crapahut,  beaucoup de crapahut ! ‘Occuper le terrain’ !
Venant de la harka où le crapahut était quotidien, j’ai acquis une bonne endurance, une bonne forme physique. Heureusement!
En effet, lors d’une de mes premières sorties à Madkoura, le soldat Masgnaux monte le coup à ses camardes (discrètement et gentiment) : « allez les gars, on marche dur, on va le canner; allez, on y va !». Au début de la marche, je ne me rends pas compte du manège...
Bon, j’ai compris ! Je prends le rythme; après un certain temps de marche on fait une pause, comme d’habitude; mais j’écourte la pause. C’est moi qui passe en tête et donne l’allure de la marche : une bonne allure; il est vrai que je ne porte quasiment rien dans ma musette tandis que les soldats trimballent armes et munitions !…
Cette marche forcée, durant laquelle plusieurs ont mouillé leur chemise, se termine au bar du poste de Madkoura. Bizutage terminé !
Oui, à Madkoura nous avons crapahuté. Beaucoup crapahuté !
C’était nécessaire pour notre sécurité : occuper le terrain, faire en sorte que les fellaghas ne nous tendent pas d’embuscades !
                    Dieu merci, je n’ai eu à déplorer ni tué, ni blessé.
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Il y a eu des moments inoubliables : des temps de tristesse, des temps de joie et de fête vécus dans la camaraderie, une fraternité construite dans le vécu quotidien d’une vie en poste militaire, vie de solitude et d’interrogation: on ne savait pas de quoi serait fait notre demain !
Aussi fallait-il inventer quelques distractions : les parties de volley, les courses avec des ariouls récupérés dans le djébel…. (ariouls: ânes kabyles, délaissés par les paysans qui ont fui vers la ville !)

Je me souviens de quelques sorties (!) organisées à Madkoura : l’expédition pour aller faire des photos dans un site très vallonné de toute beauté; l’expédition pour aller cueillir des oranges au fond d’un talweg ou ramasser des champignons; les patrouilles pour aller rendre visite aux soldats de Manzékouane.
Expédition, car pour chaque déplacement il fallait mettre en place une protection : nous étions en zone d’insécurité !
Je me souviens de l’arrivée du courrier
: il y avait celui qui venait lors des liaisons de ravitaillement (environ toutes les 3 semaines); il y avait aussi celui qui nous était largué parfois depuis le piper, petit avion de reconnaissance: des sentinelles repéraient le point de chute du colis postal et se lançaient dans une chasse au trésor. Recevoir une lettre d’un papa, d’une maman, d’une fiancée, d’un ami : quelle joie !
Je me souviens du capitaine Bravo Roméo, pilote d’hélicoptère dont j’avais fait connaissance le jour de l’embuscade de Bounekache, le 3 juillet 1961. Il savait que notre poste était isolé : quand il le pouvait, il profitait de ses sorties - et parfois devait prétexter des sorties de maintenance - pour venir nous porter ou nous larguer le sac contenant le courrier.
Quel plaisir de voir dans les airs l’arrivée de l’hélicoptère : lorsque R.B. n’était pas trop pressé, il venait faire un tour au bar, le temps pour quelques soldats de rédiger rapidement une lettre pour leur fiancée...Sympathique, non ?