Après l'embuscade.

Souvenirs de cette journée

Le Capitaine Roméo. Je fais la connaissance du Capitaine Bravo Roméo ( B.R.. les premières lettres de son prénom et de son nom) pilote d’hélicoptère, est venu chercher les blessés. Très touché par ce qui nous est arrivé, il gardera une affection pour les soldats du secteur d’Iffouralène. Plus tard, il reviendra me rendre visite à Madkoura !
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Le P.C. Bataillon voulait avoir des renseignements sur l’embuscade : combien d’armes perdues, nombre de victimes, etc.… Ces questions m’agaçaient : j’avais d’autres priorités !
Je me souviens avoir demandé à une 'autorité' de dégager la fréquence pour ne pas gêner les opérations d’évacuation. On m’a dit par la suite que cette autorité, c’était le Chef de bataillon !… Un appelé qui dégage un commandant : ce n’est pas commun , et ça a fait ’causer’ !
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Être vivant ! La vie. Le jour de l’embuscade de Bounekache, lorsque j’ai accueilli à l’infirmerie le caporal Brisset, blessé, les deux jambes broyées par une rafale, je pensais en moi-même : « plutôt mort que comme ça ! ».Je me souviens de ses premières paroles;  le regard vif fixé sur moi,  un rictus de sourire aux lèvres: «Mon lieutenant, je suis vivant ! »
Surpris, je ne sais que dire !... Que lui répondre ?
Après un temps de silence, en lui serrant délicatement la main, je lui ai simplement dit : « Courage ! … Courage !».
La phrase du caporal Brisset m’a vraiment marqué, elle est gravée dans ma mémoire: « Je suis vivant ! ».
La vie avant tout … Oui, la vie !
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"Ce n'était pas mon jour". Marcel L*, tireur FM, blessé au pied, des éclats de grenade dans le dos, blessé à la tête..
Marcel m'a téléphoné à la suite de l'article INCROYABLE paru dans l'Ancien d'Algérie (N° 510, octobre 2012, page 6); en me racontant ce qu'il a vécu durant cette embuscade, il a répété plusieurs fois: "Ce n'était pas mon jour". Grâce à l'intervention rapide des secours, il n'a pas été 'achevé'!
Lire son récit de l'embuscade page précédente: bounekache;
et ci-dessous.... après l'embuscade.
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Marcel LEMOINE a été blessé.
Il nous raconte son aventure... après l’embuscade !

Ce n’était pas mon jour

 J’entends marcher autour de moi ; quelqu’un dit : « Encore un, c’est le treizième ».
Comprenant que c’est un des nôtres je crie : « Non, je ne suis pas mort ».
Il me tire par les épaules et m’installe dans le 6x6 avec d’autres blessés et morts ; nous partons vers Iffouralène.
Ce n’est toujours pas mon heure !
Placé sur un brancard à l’extérieur d’un hélicoptère, on oublie de me sangler. Je me retrouve tassé au bout du brancard le temps du vol. J’ai mal, très mal, je hurle mais le pilote ne peut entendre vu le bruit du moteur. Nous atterrissons, on m’installe dans une ambulance (4x4) qui roule à tombeau ouvert jusqu’à Bougie. Epuisé, je m’évanouis…

Je reprends connaissance dans le couloir de l’hôpital civil. J’ouvre les yeux ; un jeune arabe penché sur moi, un rasoir à la main (il devait me raser la tête). Encore dans l’embuscade ! Je lui décroche un coup de poing. Il tombe à la renverse et se met à hurler. Deux infirmiers arrivent et m’emportent au bloc opératoire.
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Les 3 premiers jours, je dors (3 anesthésies générales en 3 jours !). Le 4ème jour, au pied de mon lit, mon capitaine est là avec un officier chirurgien militaire. Après avoir regardé mon dossier, l’officier chirurgien militaire dit « celui-là : transfert à mon hôpital ». Dans la journée, j’apprends que je vais être transféré à l’hôpital de Sétif. Pour rejoindre Sétif sur les hauts plateaux, il faut traverser les gorges de Kerrata (haut lieu de nombreux combats). Nouvelle inquiétude. Enfin Sétif. Toujours sur le brancard, le chirurgien qui manifestement sort du bloc opératoire (du sang sur sa tenue blanche) me dit : « Ah toi, tu as eu une chance sur un million d’être encore vivant. L’autre boucher de l’hôpital de Bougie t’a fait subir 3 anesthésies générales en 3 jours. Maintenant je ne peux plus pratiquer d’anesthésies, tu vas être soigné à vif ».
Peu importe, je suis vivant, ce n’était pas mon jour !
Une heure de soin par jour. 2 infirmières avec une longue pince à épiler (aimantée) vont chercher dans toutes les plaies béantes de mon corps les éclats de grenades. Cela va durer 30 jours. A la fin, quand on venait me chercher (en chariot), je pleurais.

Pourtant, grâce à la gentillesse et au professionnalisme de ces 2 infirmières comme du chirurgien, mon pied gauche est sauvé ; j’évite l’amputation.
Ce n’était pas ma destinée.
Encore aujourd’hui, je pense à ce chirurgien et à ces 2 infirmières.
Je regrette de ne pas connaître leur nom ni ce qu’ils sont devenus pour les remercier.
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Dernièrement, pour raison de santé, j’ai passé radios, IRM et scanner. Je promène encore 12 éclats dans le pied gauche, 4 derrière mes poumons et 2 proches du pancréas.
Ce n’était ni mon jour, ni mon heure.
Je n’oublierai jamais les camarades français et harkis morts ou blessés ce 3 juillet 1961.
Question : qui attendait les fellagas ? Le convoi de véhicules ou la patrouille de harkis ?
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P.S. Quelques années plus tard, profitant d’un séjour à Bonne (rebaptisé Anaba), je suis retourné à Iffouralène, j’ai revu ces lieux y compris Bounekache, celui de l’embuscade.

J’ai pleuré.
Souvenirs que je porterai à vie.

Marcel